Les orques du Sud




Article paru dans Le Monde, 13 août 2018.

Ce titre d'article donne le ton ! Paru en août dernier, il parle notamment de l'histoire d'une orque femelle qui a porté son bébé mort pendant 17 jours sur plus de 1500 km. Peut-être en avez-vous entendu parler...

La population des orques du Pacifique Sud est l'une des plus emblématique et une des mieux connue au monde. Comme je le disais dans mon précédent article, elle est également l'une des plus menacée. Elle a été classée "En danger" par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) depuis 2001 suite à une baisse du nombre d'individus. Comment cela s'explique ?


D'abord fortement touchée à la fin des années 60, début des années 70 par les captures d'orques sauvages pour les parcs d'attraction, comme SeaWorld ou Marineland, la population ne comptait plus que 50 individus. Suite à l'interdiction des captures, le nombre d'animaux a alors augmenté mais depuis une dizaine d'années, la tendance est de nouveau à la baisse.


Ces orques peinent notamment à trouver assez de proies pour s'alimenter et meurent de faim.... 


Ce qui est essentiel de savoir sur les orques, c'est qu'il existe différentes populations ou sous-populations d'orques que l'on appelle des écotypes. Ces derniers se dissocient les uns des autres par leur différence génétique, morphologique, comportementale et alimentaire à travers différentes régions du monde. Ainsi dans l'hémisphère nord, on observe trois écotypes différents :
- les "résidents" qui vivent près des côtes dans des zones bien connues et se nourrissent de poissons ; 
- les "nomades" ou "migrants" qui se nourrissent principalement de mammifères marins et d'oiseaux ; 
- les "océaniques" qui vivent en pleine mer, se nourrissent de mammifères marins, de poissons ou encore de calmars ou de raies.

Les orques dont je vous parle, ici, sont des orques résidentes donc elles ne mangent que du poisson et quasi exclusivement d'une espèce de saumon (85 % de leur alimentation) : le Quinnat appelé encore Chinook ou saumon royal (la plus grosse et la plus grasse des espèces de saumon) ! C'est là que les choses deviennent problématiques... Les saumons se raréfient...

Les populations de saumon Chinook sont, elles aussi, classées en danger depuis 1999 et en voie d'extinction. De moins en moins de saumons, qui sont de moins en moins de bonne qualité. Voilà la cause principale de la mauvaise santé de ces orques!

Tendance de la population de saumon royal dans la mer de Salish.
Source : https://www.epa.gov/salish-sea/chinook-salmon


Comme l'ensemble des espèces d'un écosystème, l'orque ou le saumon sont des maillons importants de la chaîne alimentaire. Si l'un des maillons vient à disparaître ou à fortement décliner c'est tout l’écosystème qui est bouleversé ! C'est en partie illustré ici, bien que cela soit plus complexe car l'Homme vient y mettre son grain de sel !

Une menace spécifique à la population de saumon, dont se nourrissent ces orques, est l'existence de  barrages sur la rivière Snake que les poissons remontent pour pondre leurs œufs et que les juvéniles doivent ensuite emprunter pour rejoindre l'océan. 55 % des juvéniles sont bloqués par ces barrages! De plus, il y a aussi un réchauffement de l'eau en aval de ces barrages... 


Les saumons sauvages du Pacifique
Source : https://aquaculture-aquablog.blogspot.com/2010/10/dans-le-pacifique-nord-trop-de-saumons.html


Les orques n'arrivent donc plus à se nourrir suffisamment pour assurer leur survie, leur reproduction et surtout assurer la survie de leurs petits. Les petits meurent peu de temps après leur naissance.

Ce manque de proies est la principale menace qui pèse sur ces orques mais il en existe 4 autres non négligeables :


1. La présence de contaminant comme par exemple les PCBs pour PolyChloroBiphényle. Se sont des produits chimiques toxiques pour l'Homme et l'environnement. Bien qu'interdits depuis 30 ans, on les retrouve partout (air, eau, sols) car ils sont très peu biodégradables. Avec le temps et les rejets accidentels, ils se sont accumulés dans l'environnement et en particulier dans les sédiments marins ou d'eau douce.  Les PCBs vont s'accumuler dans la chaîne alimentaire (absorption et concentration dans les tissus des êtres vivants, figure ci-dessous) et les orques, en bout de chaîne, vont être largement contaminés ; 



La chaîne alimentaire marine
Source : https://www.phenomer.org/Mieux-connaitre-les-microalgues/Qu-est-ce-que-le-phytoplancton

2.  Les saumons d'élevage, installés en mer dans des cages ou des filets, sont aussi largement contaminés par un virus qu'ils transmettent aux saumons sauvages ;



Ferme d''élevage, Colombie-Britannique, Canada
Source :https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1099973/pou-saumon-ferme-elevage-pisciculture-cermac-canada-peches-oceans-enquete

3. Le bruit sous-marin ambiant associé au trafic maritime dans la région (difficulté pour les orques de s'orienter, de communiquer, de trouver leur nourriture) ;

4. La menace de marées noires avec le projet d'extension de l’Oléoduc Trans  Mountain. De plus, cette extension conduira à l'augmentation du nombre de barils de pétrole transportés mais également l'élargissement de l'entrée du port qui pourra accueillir un nombre plus important de tanker de grande taille ce qui provoquera alors, une augmentation du bruit et du trafic.

Évidemment, le problème des saumons n'est pas nouveau et par conséquent celui des orques non plus. Cependant, n'oublions pas qu'il existe des enjeux économiques et énergétiques énormes dans la région. Le port de Vancouver, tout proche, est le plus gros d'Amérique du Nord sur la côte Pacifique avec près de 150 millions de tonnes de fret par an. 

Port de Vancouver
Source :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Port_de_Vancouver

Des mesures avaient été prises en 2016 et les choses continuent à bouger... Sans rentrer dans les détails, plusieurs décisions gouvernementales ont été prises par les États-Unis et le Canada dans le but de préserver la population d'orques. En voici quelques exemples :
- Des systèmes de signalisations des cétacés pour les gros navires afin d'éviter les collisions ;
- Plans de gestion pour diminuer le bruit sous-marin (baisse de la vitesse des bateaux) ;
- Plans d'actions qui visent à reconstituer les stocks de saumons (fermeture de la pêche dans certaines zones, restauration de l'habitat) ;
- Réglementation renforcée sur certains polluants qui affectent les orques ;
- Interdiction temporaire de l'observation en mer de ces orques par les bateaux touristiques ;
- Surveillance aérienne et maritime pour faire respecter les nouvelles mesures.
  
Ken Balcomb, dont je vous ai parlé dans l'article précédent, explique qu'il ne se satisfait pas des mesures et du budget de 1.1 milliard de dollars proposé par la gouverneur (voir article en anglais ou en français). 
Nous avons besoin d’actions audacieuses, » affirme Ken Balcomb. " Des rivières naturelles et davantage de saumon royal. "

Je veux néanmoins finir sur une note positive ! La semaine dernière un nouveau bébé a été aperçu au sein du groupe L. C'est le premier bébé qui a survécu depuis 2 ans et demi. Une grande et belle surprise pour tout le monde. L'individu a été nommé L124 ou "Lucky" (Chanceux en anglais) ! Espérons que cela lui promette un bel et long avenir.

L77 avec son bébé "Lucky"
Source: Center for Whale Research




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